LA TÔLERIE – Espace d’art contemporain
Clermont-Ferrand
Du 29/04/16 au 30/07/16
Exposition collective: Estèla Alliaud, Benjamin L. Aman, Guillaume Constantin, Laurence De Leersnyder, Sophie Dubosc, Agnès Geoffray, Karolina Krasouli et Arnaud Vasseux
Commissariat : Marie Cantos
« On ne sait rien d’elle… une inconnue… qui s’est jetée dans la Seine, une jeune femme, elle a fermé les yeux sur son secret… pourquoi a-t-elle fait ça ? La faim, l’amour… On peut rêver ce qu’on veut… Qu’est-ce qui a poussé le carabin de service, là, à côté, à la Morgue, à prendre le moulage de cette noyée-là, et pas d’une autre… »
Louis Aragon, Aurélien (1944)
L’Inconnue de la Seine – Un Songe est le second volet d’un diptyque d’expositions collectives se déployant sur deux années à La Tôlerie. Il propose, à la suite de Réparer à l’endroit de l’accroc le tissu du temps (28 avril au 25 juillet 2015), de revenir sur la déclaration d’une patiente rapportée par le psychanalyste Pierre Fédida : « Je sens, par mon silence, le creux dans ma bouche. » (L’Absence). Une phrase des plus étranges qui évoque autant la matérialité du moulage (la forme et sa contre-forme, réversibles à l’infini) que l’incapacité à poser une parole sur ce que l’on a perdu.
L’Inconnue de la Seine, c’est avant tout un masque : celui d’une jeune femme, yeux fermés, léger sourire aux lèvres. Il fascine, principalement l’intelligentsia française et allemande, de la fin du XIXe siècle à l’orée de la Seconde Guerre mondiale. Il orne les murs ou les bibliothèques des salons des écrivains et des ateliers d’artistes. Il inspire Aragon bien sûr, mais aussi Breton, Céline, Magritte, Man Ray, Nabokov, Rilke, Rudomine, Supervielle, Zielke, etc. On le dit moulé sur le cadavre d’une noyée, suicidée précise-t-on pour ajouter de la tragédie à l’histoire. En réalité, ce masque a certainement été pris sur le visage d’un jeune modèle près d’un demi-siècle avant le début de cette vogue… Un modèle aussi vivant que la fraîcheur des traits le laisse supposer ! Mais qu’importe : l’empreinte ne mortifie-t-elle pas son sujet, comme le rappelle l’historien de l’art et philosophe Georges Didi-Huberman. Et l’Inconnue de la Seine est une Ophélie idéale pour le spleen de l’époque – le mystère de la Joconde en plus.
Le masque de l’Inconnue de la Seine continue de fasciner. Certains artistes s’intéressent encore au mythe, d’autres intègrent l’objet ou son image dans leurs œuvres. L’Inconnue de la Seine – Un Songe prend acte de cette persistance sans pour autant sacrifier à l’exercice scientifique que requerrait un tel sujet. Parce qu’il ne s’agit pas de dresser l’inventaire des apparitions et réapparitions dans l’art contemporain de cette célèbre anonyme mais, plutôt, d’inviter des artistes à dériver avec son visage et son (ses) histoire(s). À « L’Enquête », on substituera « Le Songe » où se disperseront les fragments d’un possible portrait de « la Belle Noyée », pour reprendre le titre de l’ouvrage que l’historien de l’art Bertrand Tillier lui a consacré.
Aux côtés de Laurence De Leersnyder, Agnès Geoffray et Arnaud Vasseux dont le public a pu découvrir les œuvres dans le premier volet du diptyque d’expositions, les artistes Estèla Alliaud, Benjamin L. Aman, Guillaume Constantin, Sophie Dubosc et Karolina Krasouli rejoueront, à travers des emprunts d’œuvres et des productions spécifiques, « la Jeune Fille et la Mort ». Il sera évidemment question de moulage, d’écart et d’inframince, ainsi que et des avatars modernes et quotidiens du masque. Mais aussi d’art funéraire, de voiles et de linceuls, de portraits abstraits, de livres décolorés par le temps, d’architectures liquides et d’écoutes absorbées, de résistance et d’engagement, de violence, d’érotisme parfois, d’humeurs aqueuses, d’identité et d’anonymat, de faits divers et de légendes urbaines. Et enfin, de parole empêchée, parce que pétrifiée.
LA TÔLERIE – Espace d’art contemporain
10 rue de Bien Assis, Clermont-Ferrand
Ouvert du mardi au samedi de 14 h à 18 h